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Périple de l'éléphant roux

L'Haruspice contre les oiseaux de mauvais augure

25 Novembre 2015, 20:35pm

Publié par Damien CHIAVERINI

Scintillant encore de joyeuses clartés allumées avant même l’époque d’Offenbach, le Gai Paris s’est retrouvé plongé dans la noirceur homicide. 2015, décidément fidèle à la récurrence calamiteuse que la quinzième année de chaque siècle réserve à la France depuis le temps de Louis le Hutin, a vu les morts du 13 novembre s’ajouter à ceux du 11 janvier. A la différence que l’horreur n’a pas fait que se répéter mais s’est amplifiée, les assassinats ciblés de Charlie Hebdo ayant cédé la place à l’attentat aveugle qui avait pour but de perpétrer le plus grand nombre de victimes. Meurtri dans son centre, le pays a vu s’enfuir son insouciance. Non que cette dernière ait encore beaucoup concerné les déclassés du système, dont le nombre croissant scande chaque nouvelle statistique du chômage ou des morts par suicide. Mais l’attaque a ici touché une jeunesse qui s’amusait dans la capitale.

Porteur du même désastre qu’il offre, sans discrimination excessive depuis plusieurs décennies, à plusieurs pays du monde, du Caucase au Kenya et de l’Atlantique aux Philippines, le terrorisme islamiste est parvenu à rabattre avec ampleur ses sinistres ailes sur la Ville Lumière. Oublieux de leur main gauche qui distribua, en Libye et en Syrie, armes et subsides aux mouvances se réclamant de cette idéologie, les représentants français lui ont déclaré la guerre et juré de l’éradiquer. Ils ont, pour ce faire, expédié quelques bombes sur des installations de l’Emirat islamique, que leur lutte officiellement proclamée n’avait jusqu’à ce jour su trouver, et suspendu, sur le plan intérieur, les libertés publiques, par le recours à ce vestige de la Guerre d’Algérie que constitue la procédure d’état d’urgence. Des images d’explosions en Syrie et de perquisitions musclées dans quelques banlieues sont, ainsi, venues illustrer les propos martiaux tenus par le Président Hollande et le Premier Ministre Valls. Dans le même temps, la fibre patriotique a été encouragée, en soulignant télévisuellement certaines des caractéristiques les plus émouvantes de cette situation de crise et en mettant à l’honneur le drapeau tricolore. Les réseaux sociaux en ont d’ailleurs fait un fer de lance de la résistance télématique aux effets du terrorisme, en incitant chacun de leurs utilisateurs à l’arborer, éventuellement accompagné d’une invite à la prière curieusement rédigée en anglais. L’ennui est cependant dans l’absence de définition bien précise tant de l’ensemble à défendre par la guerre que de l’Être auquel adresser une supplique.

Appelés à lutter contre la barbarie pour préserver « les valeurs de la République », il n’est pas certain que les Français parviennent à se sentir suffisamment concernés pour partir au feu et être prêts au sacrifice suprême. Déjà peu vérifiable dans la réalité sociale quotidienne, la devise d’un régime politique n’a pas souvent constitué, dans l’Histoire, un objet suffisamment sacré pour drainer une ardeur combattante. Si le cri de guerre d’un Monarque, tel que « Montjoie Saint Denis », pouvait servir à rallier les troupes pour l’assaut, il visait moins son propre trône que Celui dont il était le simple intermédiaire auprès des hommes. Car toute guerre, a fortiori défensive, a besoin de motiver les combattants par l’appel à des sentiments qui leur sont réellement à la fois chers et supérieurs. Or, Eschyle en a déjà dressé la liste exhaustive, dans le péan qu’entonnent les Grecs à Salamine : « Allez, fils de la Grèce, délivrez la patrie, délivrez vos enfants et vos femmes, les sanctuaires des dieux de vos pères et les tombeaux de vos aïeux : c’est la lutte suprême. »

Ces références éternelles, seules à même de galvaniser l’âme guerrière, nécessitent cependant que le peuple ait conscience de lui-même et soit guidé par l’En-haut. Il ne peut, dès lors, être ravalé à la simple population d’institutions forcément temporaires dans le temps long de l’Histoire mais doit être rappelé à ce qu'il est, c’est-à-dire le continuateur ininterrompu de ceux qui, depuis le fond des âges, suivirent Clovis, bâtirent Notre-Dame, acclamèrent Henri IV et triomphèrent à Austerlitz. Ce peuple n’est pas la République, il est la France, puisant son unité, sa grandeur et sa force dans toute sa profondeur historique. Et son âme ne s’incarne pas dans le simple hédonisme de fêtes légères, ne se contente pas de compassion aussi virtuelle que scénarisée et ne se réfugie pas dans le nihilisme matérialiste d’une Société de consommation qui ne se propose comme avenir que de hanter des centres commerciaux le dimanche. Ce même nihilisme qui fait que les terroristes qui se réclament du Prophète, pour beaucoup issus de la voyoucratie et n’ayant pour réalisation présente que d’organiser les territoires qu’ils régissent autour du trafic de la drogue et de la traite des blanches, se révèlent bien davantage les enfants du libéralisme débridé que du rigorisme du Mahdi.

Les Français ne partiront pas au combat pour défendre une conception d’un monde sans cause ni but, sans autre aspiration que l’immédiateté la plus brute et qui ne proclame comme unique devenir que la dissolution dans le néant, rendant donc aussi vaine qu’absurde toute idée de transmission, d’héritage et donc de lutte pour la perpétuation. Comme tout peuple qui cherche à s’élever, les Français aspirent au contraire, en leur for intérieur, à la transcendance, à construire ici-bas un modèle voulu par l’En-haut, afin de poursuivre sur la durée un but d’accomplissement. Le Peuple de France est donc en quête de signes et suivra celui qui saura les lui montrer. Il attend son augure, son haruspice qui, pour la bataille comme pour la concorde, saura appeler sur lui et lui assurer un destin bénéfique. Il est au Pont Milvius et cherche sa nouvelle Croix.

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J
Magistral commentaire de notre actualité !
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