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Périple de l'éléphant roux

La persistance des incursions romaines en Germanie

8 Juin 2014, 10:24am

Publié par Damien CHIAVERINI

L'historiographie antique a autant loué l'expansion de l'imperium romain dans les différentes directions du monde connu, qu'elle a pleuré le brutal arrêt de la conquête de la Germanie qui a résulté de la cuisante défaite de Varus en 9 ap. J.-C.. Alors même que l'Empire naissant vivait son âge d'or, la catastrophe militaire subie par les légions vers Kalkriese, dans l'actuelle Basse Saxe, replongeait l'Urbs dans les affres qu'elle avait connues à l'époque de Marius, plus d'un siècle auparavant.

Suétone, abandonnant à cette occasion son goût pour le graveleux, souligne de façon lyrique dans ses Vies des douze Césars (Octave Auguste, XXIII) l'intensité de la menace et le désespoir de la perte qu'en ressentit Auguste."Il n'essuya de défaites graves et ignominieuses que celles de Lollius et de Varus, toutes deux en Germanie. La première fut plus honteuse qu'irréparable ; mais celle de Varus pensa être fatale à l'empire, trois légions ayant été massacrées avec le général, les lieutenants et tous les auxiliaires. Dès qu'il en reçut la nouvelle, il fit placer dans Rome des postes militaires, pour prévenir tout désordre ; les gouverneurs des provinces furent continués dans leurs commandements, afin que leur expérience et leur habileté retinssent les alliés dans le devoir ; et il voua de grands jeux à Jupiter Très Bon et Très Grand, pour qu'il rétablît les affaires de la République, ainsi qu'on l'avait fait dans la guerre des Cimbres et dans celle des Marses. Enfin, il en éprouva, dit-on, un tel désespoir, qu'il laissa croître sa barbe et ses cheveux pendant plusieurs mois, et qu'il se frappait parfois la tête contre une porte en s'écriant : Quintilius Varus, rends-moi mes légions. Les anniversaires de ce désastre furent toujours pour lui des jours de tristesse et de deuil."

Yann Le Bohec, qui a consacré une monographie à cette bataille du Teutoburg, confirme le complet changement de stratégie que les Romains opposèrent à ce désastre. "Puisqu'il craignait une invasion, Auguste prit des mesures pour barrer la route aux éventuels assaillants. Tout d'abord, il renonça pour toujours à conquérir la Germanie transrhénane, et ses successeurs ont tous repris cette décision sans jamais la discuter." A l'exception de rapides contre-offensives qui, conduites par Tibère puis Germanicus entre 11 et 16, vinrent redorer quelque peu le prestige des aigles, l'ambition romaine à l'égard de ce territoire sembla n'avoir plus été alors que défensive. Comme le note Le Bohec, "Il fallait défendre la Gaule contre une invasion possible voire probable. Pour ce faire, trois moyens furent mobilisés, une défense linéaire, des défenses ponctuelles et des routes." Si la première était assurée par le cours du Rhin lui-même, les deuxièmes se constituaient de camps fortifiés à même de lutter efficacement contre les coups de force de l'ennemi, reliés entre eux par un réseau dense de voies de communication. Ce tout formait le limes, à la fois enveloppe protectrice de l'Empire romain et lieu d'échange entre ce dernier et les territoires qui, sans complétement échapper à son influence, ne relevaient pas de sa souveraineté directe.

Si les Romains ne pouvaient s'offrir le luxe d'ignorer superbement leurs turbulents voisins, veillant constamment à corrompre certains chefs afin de défaire les alliances que les peuples ultra-rhénans cherchaient à monter contre eux, tentatives qui connurent des succès divers et quelques retentissants échecs de Marc-Aurèle à Aetius, il avait cependant toujours été considéré que leur politique avait essentiellement consisté en une prévention des révoltes ou, à tout le mieux, en une défense de leurs positions. Or, la découverte des restes d'un camp romain du début du IIe siècle effectuée à Hachelbich, en Thuringe donc bien au-delà du limes, vient remettre en question cette conception.

Les vestiges de ce camp, d'une capacité de 5 000 soldats, font état de l'existence des traditionnels éléments défensifs que sont les tranchées et le muret de terre surmonté de pieux. Pourvu de huit fours à pain, l'établissement marque une présence relativement continue des troupes sur le site et ne se rapporte donc probablement pas à la simple enceinte d'un camp dressé pour la nuit qui accompagnait la marche des légions. Sans constituer un établissement durable comparable à ceux du limes, dont le caractère permanent incitait les soldats à substituer la pierre à la terre et au bois, il permet d'envisager très sérieusement la possibilité de raids militaires ponctuels menés par Rome, le temps d'une saison, à l'intérieur de la Germanie.

L'âge de l'installation, qui pourrait correspondre en toute logique au règne du dernier grand conquérant romain que fut Trajan, donne toute sa crédibilité à la mise en œuvre d'une politique vigoureuse de manifestation du prestige impérial par des attaques préventives tenant à la fois lieu de démonstration de la supériorité guerrière romaine et d'occasion de renflouement des caisses par la prise de butin. Cette découverte, réalisée en 2010 mais rendue publique dernièrement, relance joyeusement la question de la détermination des limites géographiques et temporelles exactes de l'action de Rome au cœur de l'Europe, dans le monde des forêts impénétrables de la Germanie barbare.

http://news.sciencemag.org/archaeology/2014/05/ancient-roman-military-camp-unearthed-eastern-germany

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