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Périple de l'éléphant roux

Pour bien commencer

8 Mai 2014, 15:04pm

Publié par Damien CHIAVERINI

Comme tous les blogs sérieux, le mien ne saurait débuter sans offrir à ses lecteurs une recette qui, flattant leurs papilles, les incitera à une meilleure attention par la suite. La catégorie du Refuge de Thélème, clin d'œil aux espérances de Rabelais quant à la possibilité d'une vie douce, entend d'ailleurs souligner certaines sensations agréables, tant gustatives que visuelles voire odoriférantes, propices à une perception enjouée de la réalité, qui vient heureusement compenser la rigueur d'autres sujets.

Ce premier article culinaire vient donner quelques conseils simples à tout amateur de cuisine asiatique qui connaît le déplaisir de voir son environnement privé de restaurants dignes de ce nom. Dans un tel contexte inhumain, il n'est pas toujours indispensable de faire montre d'ardeurs belliqueuses et de compenser par le rapt et le pillage ce que les indigents gastronomiques vous font subir. Certes, les rêves de canonnière sur le Yang-Tse-Kiang peuvent toujours autant nous émouvoir que lorsqu'ils saisissaient Jean Gabin dans Un Singe en Hiver. Il reste néanmoins une solution plus casanière pour savourer quelques délicieux vapeurs qui, à défaut d'accompagner l'aventure, la transposeront dans votre assiette. Battez tambours, sonnez trompettes et que fuient tous les esprits chagrins qui abhorrent la légèreté suave car voici que vous est délivré le secret des ha-kao aux crevettes selon la façon des exilés en terres infertiles.

Afin de préparer une pâte qui respecte grosso modo les canons de l'Empire du Milieu et qui permette la confection de dix sublimes ha-kao, il vous faut réunir préalablement :

- une cinquantaine de grammes de fécule de blé, parfois vendue sous l'appellation ésotérique de "farine de blé sans gluten" à l'attention de certains hypocondriaques ;

- vingt-cinq grammes de fécule de pommes de terre ;

- soixante-quinze millilitres d'eau bouillante ;

- une cuiller à café d'huile de tournesol.

Ces ingrédients, une foi en votre ferme possession, se doivent d'être mélangés vivement dans un ramequin, puis pétris avec tendresse avant que de laisser l'ensemble se reposer une bonne quinzaine de minutes.

Le cuisinier ne saurait cependant rester les bras ballants pendant ce laps de temps. Il se voit, en effet, requis pour mixer 150 grammes de crevettes roses, quelques feuilles de coriandre fraichement coupées (dans la jardinière à plantes aromatiques dont l'usage ne saurait être écarté par tout homme civilisé), deux cuillers à café de sauce soja, deux cuillers à café de vin jaune (que les plus entreprenants iront chercher chez quelque fournisseur caché mais que les plus dépourvus pourront bonnement remplacer par du porto rouge), une respectable pincée de gingembre en poudre, avec un soupçon de sel et de poivre.

Une fois cette mixture réalisée, doit intervenir son renforcement par l'ajout d'une cinquantaine de grammes de crevettes roses grossièrement découpées en lamelles. Les puristes pousseront des cris d'orfraie devant la variante qui consiste à adjoindre au tout quatre radis finement tranchés, variante dont la lecture peut laisser sceptique mais pour laquelle le résultat est des plus satisfaisants. Les plus curieux auront la liberté d'emprunter d'autres chemins de traverse en agrémentant leur mélange, au choix, de pousses de bambou, d'oignons chinois, de carottes, de blancs d'œufs ou d'huile de sésame.

Le cuisinier, à ce stade de la préparation, n'a toujours pas le loisir de s'endormir sur des lauriers qu'il n'a pas encore remportés. Il se voit opposer l'obligation de repétrir la pâte, de l'étaler à l'aide d'un rouleau, puis de la séparer en dix carrés d'égale importance au sein d'un damier impeccable. Chaque carré doit être individuellement repétri et étalé finement, avant de se voir apposer en son centre une cuiller à soupe du mélange final. L'habile préparateur prend ensuite soin de relever chaque angle et de les réunir sur le sommet, afin de former une esthétique aumônière.

Après cela, les dix bouchées sont cuites à la vapeur cinq à dix minutes. A défaut du traditionnel panier, une passoire placée au dessus d'une eau bouillant dans une marmite peut faire l'affaire.

Lorsque le chef a enfin mérité sa toque, les ha-kao sont servis, assaisonnés d'une sauce soja et accompagnés éventuellement de crudités. Les convives agréables font alors silence pour communier dans la mastication de ce charmant mets.

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U
Il n'est que trop rare que de pouvoir saliver en lisant une recette tout en s'amusant de cette lecture. Tout un voyage après promesse d'un petit labeur assurant de vider l'esprit avant de remplir l'estomac et de contenter les papilles. Bravo à l'auteur-cuisinier pour ce gourmand secret.
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