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Périple de l'éléphant roux

Ouvrage de Damien et Philippe CHIAVERINI : L'Echec de l'Expédition de Sardaigne de 1793

17 Octobre 2023, 08:35am

Publié par Damien CHIAVERINI

Est paru, le 16 octobre 2023, L'Echec de l'Expédition de Sardaigne de 1793 que j'ai co-écrit avec mon père Philippe. Cet ouvrage est en vente sur Amazon au prix de 14,24 € TTC pour la version imprimée sur papier en format broché, et à celui de 5,99 € TTC pour la version électronique en format Kindle.

Ce livre présente les raisons profondes de ce désastre militaire subi sous la Convention. En voici le résumé détaillé :

 

Soucieuse de renforcer la protection de ses côtes provençales et de doper son commerce méditerranéen, la France, à compter de Louis XIV, développe une intense politique d’intégration du Bassin occidental à sa sphère d’influence. Parvenant, peu à peu à installer des Princes Bourbons sur les Trônes espagnol, napolitain et parmesan, elle se met à considérer la Corse comme un fort intéressant poste avancé pour sa Marine. Quasi-tutrice de Gênes, elle se rend indispensable à la Sérénissime pour la conservation, sur l’île, des présides côtiers menacés par la Révolte initiée depuis 1730 contre sa domination, qui, après la parenthèse de Neuhoff, connaît son point d’orgue avec le Généralat de Paoli. Développant une diplomatie des plus habiles, la France de Louis XV, qui accomplit même l’exploit de s’allier à l’Autriche, parvient simultanément à écarter les revendications émises par les autres puissances sur ce territoire, tout en rendant indispensable, pour la Superbe, la pérennité de la présence de ses troupes. S’initie alors, dès 1735, une lente et très efficace politique d’infusion des intérêts français qui, commandés par le Ministre Chauvelin à ses représentants sur place, gagne au Roi de France le soutien d’élites qui vont s’augmentant et drainent leurs différents clients. Préparation des esprits qui ouvre, à la génération suivante, les conditions matérielles de rattachement direct de l’île au Royaume. Réussite politique, obtenue au nez et à la barbe d’une Angleterre rivale sur tous les fronts, qui se trouve parachevée par la Conquête de 1769. Laquelle, au terme de la défaite des troupes paolistes, assure une domination que viennent contrebalancer quelques révoltes sporadiques et sur laquelle plane l’ombre d’une persistante possibilité de restauration du Gouvernement génois, induite par les clauses mêmes du très ambigu Traité qui a transféré, à titre conditionné, l’exercice mais non l’origine de la Souveraineté sur le Regno di Corsica.

             C’est en jouant de l’ambivalence des conditions de son administration de l’île que le Gouvernement royal s’essaie à agréger à ses vues une part conséquente d’une Société insulaire, traversée d’antagonismes sociaux entre catégories, politiques entre clans et même « nationaux », puisque l’élément ligure se juxtapose, dans les villes, à celui corse, lequel ne se fait pas davantage unitaire. Cherchant à convaincre chacun du caractère indépassable de son rôle d’arbitre et de modérateur entre espérances peu conciliables. Procédant, dans le même temps, à des investissements, certes militaires, mais aussi à vocation productive, qui parviennent, en vingt ans, sous Louis XVI, à quelques résultats démographiques et même économiques. Ce dernier domaine, imprégné de la pensée physiocrate du temps, concentre, dans le déroulé de ses principes, toutes les contradictions que le Pouvoir doit tenter de juguler, tout en se montrant d’un parti-pris qui ne sert pas toujours les propres intérêts de la pérennité d’un Règne, restant non seulement tributaire de l’adhésion populaire mais dépendant des fidélités historiques de la petite Noblesse. Tâtant un peu du développement du commerce maritime mais pratiquant, surtout, une politique foncière qui, effectuée au profit de grandes concessions seigneuriales, qui se voient attribuées à quelques grands aristocrates continentaux, de même qu’à certains Corses, reconnus nobles et distingués par le Roi. Physiocratie à visée productiviste, qui augmente les dissensions quant à l’utilisation de la terre. Scindant la Société, davantage encore que par le passé, entre tenants d’un pastoralisme itinérant, envers lesquels le Pouvoir se montre hostile et qu’il cherche à encloser, et partisans d’une propriété paysanne, dont les catégories intermédiaires, dénonçant les grands domaines, réclament une plus juste répartition des parcelles. Dichotomie d’un sentiment de meilleure égalité, qui s’articule dans une progression de l’individualisme agraire, qui érode l’organisation communautaire, en épousant implicitement les objectifs productivistes soutenus par une administration, dont la philosophie est ici de nature à porter préjudice à l’esprit féodal qui, sur le continent, fonde encore la légitimité royale. Mais qui, en Corse, s’agrémente tout de même de solidarités claniques, bien plus fortes que dans les autres Provinces, qui ralentissent l’amalgame entre employés français et insulaires, largement dépourvus d’offices publics. Circonstances qui ne définissent pas, sur l’île, de caractères objectifs à une situation prérévolutionnaire qui militerait pour un bouleversement conceptuel et matériel de l’organisation sociale, mais qui incluent tout de même la Corse, où s’exprime un ressentiment de la différence de traitement entre Continentaux et Insulaires, dans une perception attentive des évènements parisiens de l’année 1789.

             Aux signes initiaux de bonne volonté du Gouvernement royal qui, avec la convocation des États Généraux, suscitent, sur l’île, des revendications politiques et sociales encore mesurées, succède l’enclenchement, à l’été, d’une matrice contestataire qui libère l’expression des mécontentements, en un composé de reproduction de la logique nationale, assortie de profondes spécificités locales. Hétéroclisme protestataire qui expose, à la fois, de réels soucis sociaux, notamment dans le petit peuple urbain, la crainte d’un retour de Gênes et la relative aversion à l’encontre d’une administration autant jugée intrusive et prédatrice qu’étrangère. Débouchant sur le paradoxe de la volonté affichée de l’intégration définitive à la France, qui réunit le quasi-unanimisme des élites et est aussi bien portée par des royalistes comme Buttafoco que des paolistes comme Saliceti. À laquelle s’adjoint, au sein de ces derniers, l’exigence de corsification d’une administration locale qui, pour eux, n’a plus vocation à être peuplée de Continentaux. Situation qui voit les officiers royaux, commandant à des troupes au loyalisme chancelant, imprégnées des idées du temps, demeurer dans une impuissance d’autant plus grande que le Trône ne parvient plus guère à décider d’une politique indépendante de celle de l’Assemblée nationale. Officiers à la tête desquels le subtil Barrin tente d’armer quelques supplétifs insulaires, dirigés par des capi que leurs intérêts personnels rendent fidèles à l’Ancien Régime. Mais ne parvient à d’autres résultats que de contempler une part importante du Peuple, qui a entendu une version, très édulcorée mais apte à susciter ses espérances, de certains préceptes des Lumières et se met à traduire les principes de la Constituante comme une licence accordée à ne plus se soumettre à aucun cadre et se libérer de toute obéissance aux règles.

             Anarchie face à laquelle la personne de Paoli passe, auprès de Paris comme de nombre de relais locaux, pour la seule capable de parvenir à une solution de déblocage. Appréciation qui conduit à son rappel d’exil, sa promotion et son installation à la tête de la nouvelle administration départementale, où il concentre officiellement les pouvoirs civils autant que militaires sur la Garde nationale. Proconsulat qu’il exerce face aux mêmes discordances que celles auxquelles il se trouvait déjà en butte du temps de son Généralat et qui n’affectaient pas moins la gestion directe des officiers royaux. Se trouvant autant au centre du jeu qu’au milieu du gué, en devant simultanément faire face à la manifestation d’exaspérations populaires, notamment exacerbées par la politique de la Constituante à l’encontre de l’Église, tout en ménageant des prepontenti sur le soutien desquels repose une partie de son pouvoir. Contraint donc d’ordonner ou de laisser s’exercer une répression, par des Gardes nationaux recrutés parmi la part la plus violente des clientèles paysannes des capi qui les dirigent, des cittadini, attachés au clergé mais dont les strates supérieures se composent d’une bourgeoisie qui lorgne sur la vente de biens nationaux. Antagonismes que, à la tête d’une administration largement déficitaire et dépendante des subsides étatiques, il tente de réduire, en louvoyant entre gestion, tour à tour répressive ou souple, d’éléments populaires qui, dans les campagnes, n’acquittent quasiment plus aucun des droits fiscaux ou redevances.  Témoignage du profond désordre engendré, dans le Peuple, par les idées que professe et parfois applique une Révolution qui, de plus en plus inapte à gérer les problèmes économiques et sociaux qu’elle crée, se radicalise. Extrémisme jacobin auquel se rallient plusieurs lieutenants de Paoli, dont Arena et Saliceti, lassés de l’autoritarisme d’un vieux chef qu’ils pensent plus pertinent de remplacer. Régime qui, dans l’espoir de résorber les problèmes intérieurs, pratique la fuite en avant de la course à la guerre, à même de débarrasser le sol national d’individus, comme les volontaires nationaux qui, puisés dans des niveaux inférieurs un premier temps utiles pour imposer un rapport de force victorieux face au Roi, se révèlent par trop instables et incitent à les employer plus commodément à s’en aller piller des pays limitrophes. Mesure de nature à un peu rétablir des finances publiques exsangues. Volonté prédatrice qui décide du projet d’attaque contre la Sardaigne, riche en blés et en chevaux, dont la possession est de surcroît jugée utile à la Flotte.

             L’Expédition, réalisée entre janvier et février 1793, après que le Roi a été renversé, puis même exécuté, la République reconnue et sa direction confiée à la Convention nationale, connaît un retentissant échec. Dont le précipité, si peu en rapport avec les succès obtenus à l’encontre de territoires continentaux du même Roi de Sardaigne, à l’instar de la Savoie et de Nice, et ne pouvant donc valablement s’expliquer, par ses concepteurs, comme le refus de la Révolution opposé par cette terre, persuade la Convention de désigner un coupable. Avec, dans le rôle, Paoli qui, considéré comme agent anglais, sert de bouc-émissaire. Accusation fantaisiste, qui dispense ses auteurs de déjà considérer la valeur militaire à peu près nulle, à l’exception du tout premier mais inutile exploit du jeune Bonaparte à La Maddalena, d’un corps expéditionnaire commandé par des officiers velléitaires, comme le contre-amiral Truguet, incapables d’imposer la moindre discipline à des troupes qui, recrutées dans les pires bas-fonds, ont précédé leur débandade sarde, d’exactions en Corse. Déroute qui débouche, à la suite de la mise en accusation de Paoli par la Convention, sur une révolte en Corse qui détache temporairement l’île de la France, instituant assez vite une parenthèse anglo-corse. Mais qui, surtout, manifeste la déconnexion des présupposés idéologiques de la Révolution avec les réalités sociales, postulant des théories universalistes qui ne s’agrègent guère, en Sardaigne, aux valeurs féodales. Privant la France d’une avancée dans l’archipel corso-sarde. Dont la première partie, qui n’a pu être conquise qu’à force d’habileté, de patience et de la détermination pour ses habitants d’un réel intérêt à accepter le règne du Roi de France, ne parvient plus à être maintenue, sous le Directoire et jusqu’à la Restauration, que par la force. Y restant arrimée, après 1815, par l’absence de revendications des autres puissances qui consentent au principe de respect des frontières de 1789. Légalisme qui, après les soubresauts de la période révolutionnaire et la gloire évanouie de l’Empire, se substitue au fondement charismatique du Pouvoir. Dont l’écho, bien qu’amoindri, sous des Bourbons issus de Saint Louis, se faisait assez grand, aux yeux de Peuples catholiques, pour encore parvenir à des rattachements volontaires à leur Sceptre. Et dont la dissolution ne permet à peu près plus de progression territoriale pérenne, depuis lors.

 

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