Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Périple de l'éléphant roux

Les Chants de la Mort de Nicole Gonthier

2 Janvier 2015, 16:50pm

Publié par Damien CHIAVERINI

Les Chants de la Mort de Nicole Gonthier

Ancien Doyen de la Faculté des Lettres et Civilisations de l'Université Jean Moulin Lyon 3, Nicole Gonthier conserve intacte sa passion pour l'Histoire, qui lui permet, avec cette quatrième enquête d'Arthaud de Varey, de nous tisser une nouvelle intrigue agitant Lyon pendant le règne de Louis XI. Les Chants de la Mort content l'enquête que le prévôt de police de l'archevêque doit mener, afin de débusquer le criminel qui, durant la seconde moitié de l'année 1482, jonche la ville de cadavres retrouvés hargneusement châtrés.

Horrifié par le caractère barbare de mutilations qui, selon le droit normal, relèvent du seul arsenal judiciaire pour punir les infractions les plus graves, Arthaud de Varey ne compte pas sa peine pour éclaircir cette énigme, dont la résolution l'oblige à fréquenter des milieux fort contrastés. Assisté de sergents à l'esprit parfois épais, il se voit contraint de plonger dans le monde bien peu catholique des gitons qui, le plus souvent prostitués par leur propre famille, satisfont les plaisirs pervers d'une clientèle choisie, laquelle ne craint pas de substituer, le temps de soirées particulières, le visage du vice au masque de l'honorabilité sociale qu'elle arbore en d'autres circonstances. L'âme déjà navrée par les turpitudes que l'exploitation de la pauvreté parvient à engendrer, sa foi en la bonté humaine ne sort pas toujours renforcée du commerce qu'il se voit contraint d'entretenir avec le monde clos et bien hypocrite des chanoines du chapitre cathédral qui, chargés de la formation des jeunes chantres, savent eux-mêmes décliner plusieurs des péchés capitaux, à commencer par ceux d'orgueil et d'envie.

Plus qu'un roman policier, la merveilleuse plume de l'auteur offre à ses lecteurs le spectacle vivant d'une Société médiévale tardive, dont la subtile complexité se trouve admirablement rendue par la galerie des protagonistes hauts en couleur qui croisent la route du prévôt. Des tenanciers de bordel aux consuls, et des ouvriers aux gardes du guet, en passant par une jeune paysanne venant vendre ses poules au marché, la mise en scène des personnages principaux comme secondaires confère à l'histoire sa drôlerie, son attachant pittoresque, ainsi que l'éternelle vérité des caractères humains. Tableau joyeux, même si parfois sombre, d'une réalité sociale restituée par l'élégance fluide d'un style d'écriture à la fois vif, gracieux et précis, qui ne manque parfois pas de faire songer à Maupassant.

Suprême délice : la beauté littéraire du texte se met également au service de la grande Histoire, en soulignant la révolution mentale qui accompagna le passage progressif du plain-chant, auquel restait fidèle la cathédrale de Lyon, à la polyphonie. Brisure de la tradition musicale qui conduisit à abandonner, au sein même de l'art liturgique, l'austère beauté du rythme uniforme propre au chant grégorien, au profit des fioritures aussi enthousiastes qu'envolées du déchant. C'est d'ailleurs par l'évocation de la pureté céleste atteinte par ces entremêlements mélodiques que Nicole Gonthier signe les plus émouvantes pages de son livre. Ce dernier se déchiffre comme une composition aussi passionnée que passionnante des belles heures de l'ars nova, qui enchantèrent cette période de création lumineuse, et révèle, derrière l'érudition de l'historienne, la ferveur de l'amoureuse de musique.

Commenter cet article